MURIELLE VICTORINE SCHERRE

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Murielle Victorine SCHERRE

Stylist

 

Déçue par la désuétude de l’imagerie populaire de la lingerie féminine diffusée dans les médias, Murielle Victorine SCHERRE a souhaité créer une révolution à travers son projet créatif lancé en 2003 : la fille d’O. Basée et produite en Belgique, cette marque de lingerie s’inspire du corps de manière intrinsèque et de la multiplicité des types de beautés qu’il offre. Elle se démarque part un style détonnant et véhicule une véritable philosophie de confort et de liberté. Et ce, à tel point, qu’un rituel unique s’est installé dans les boutiques : les clientes n’hésitent pas poser en tenue légère pour voir leurs portraits publiés sur les réseaux sociaux de la marque.

Porter la fille d’O serait-il dès lors un acte militant ? Ce « produit » belgo-belge ne peut que susciter l’envie d’en rencontrer l’instigatrice.

 
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Quel est le parcours qui a fait de toi la créatrice que tu es aujourd'hui ?
Murielle SCHERRE J’ai étudié le stylisme à l’Université de Gand. Dès que je me suis rendue compte que ma formation ne m'assurerait pas les acquis nécessaires, j'ai décidé de suivre des cours supplémentaires le soir et les week-ends (en patronage, finissions de vêtements, couture, lingerie, chaussures, dessin de costumes de théâtre). Quand j’ai quitté l’école, j’avais le CV d’une personne qui avait cinq ans d'expérience professionnelle. J’avais tellement mis d’effort pour me construire une formation sur mesure (qui me corresponde et qui soit très technique), que j’ai trouvé immédiatement du travail. Et pourtant, quand j’ai commencé à travailler à mon compte, j’ai réalisé que je ne savais… rien, en fait ! (Rire) Alors, tu fais des fautes encore et encore, et tu apprends.

On s’est dit qu’il était important pour les femmes de voir autre chose que des corps lisses et retouchés.

Qui est la fille d’O ?
J'ai étudié l’histoire de la mode, et j'ai ainsi appris à quel point elle a transformé le corps de la femme à travers les âges, mais aussi son évolution par rapport à la sociologie, la guerre, les crises, etc. Tous ces éléments auquel s'ajoute le film « Story of O » (un film B érotique des années 70. L’un des premiers accessible au grand public, NDLS), m’ont inspiré le nom. Ma marque se nomme ainsi car,  de mon point de vu, nous sommes une génération nouvelle ayant énormément de libertés. Nous avons ce luxe car les personnes nous ayant précédées nous permettent d’avoir le droit de vote, d’être mère au foyer, d’avoir cinq enfants ou aucun, d'avoir le droit à l'avortement, de travailler… Ce que je veux montrer avec la fille d’O c’est ces libertés et ce qu’on peut en faire.

 

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Comment t’y es-tu prise pour créer ta marque et concrétiser ton projet créatif ?
Après mes études, j’ai travaillé pendant deux ans dans une société. Parallèlement, je faisais mes propres collections. J’utilisais ma paie pour acheter les tissus et les étiquettes, et je développais les nouveaux modèles en petite production. J’ai grandi lentement car je n’ai pas eu d’investisseur. J’ai donc financé ce que je voulais que la fille d’O devienne. Dès le départ, ça s’est bien vendu. J’avais commencé avec trois points de vente, et quand l’argent rentrait ça payait la collection suivante. 

Deux copines m’aidaient gratuitement au début. Mais une fois qu’elles ont trouvés un travail elles sont parties. Lies est alors venue faire un stage. Ça fait maintenant cinq ou six ans qu’elle est dans l’équipe.

À un moment donné, j’ai eu envie d’avoir mon espace, de créer une atmosphère, de voir aussi qui étaient mes clientes et ainsi établir un contact plus profond avec elles. On a commencé avec un magasin dans mon ancienne maison. J’ai vidé tout le rez-de-chaussée. C’était ouvert deux jours par semaine. Quand ça a eu plus de succès, on a acheté cette maison-ci [à Gand]. À cette époque-là, on était encore deux dans l’équipe. Une fois que ça a été ouvert à plein temps, on a eu besoin d’engager quelqu’un : ce fut Ruth. Il y a eu ensuite Lien qui a demandé à faire un stage chez nous. Elle gérait bien tout ce qui concernait l’organisation, les plannings, etc. Elle a ensuite commencé à faire de la vente sur les salons. Maintenant, il y a aussi Caro qui travaille deux jours par semaine en boutique et fait tout le visual marchandising… et encore deux stagiaires. Toutes les filles sont arrivées de la même manière finalement : à chaque fois, je me disais en faisant mes calcul qu’il n’y avait pas d’argent pour les payer, mais que d’un autre côté, il fallait les engager car ce serait ainsi que l’on ferait grandir la marque.

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L’équipe est essentiellement féminine finalement.
Ce n’est pas fait exprès, mais je pense que ça a du sens. Nous faisons de la lingerie féminine et on se retrouve toutes les jours à poil ici lorsqu’on fait des essayages. (Rire)

 

C’est vous qui faites les essayages ?
Oui, car nous faisons nous-mêmes le développement. Ça rend les choses plus faciles : on finit par connaître son corps au centimètre près et à cibler les ajustements à faire. Ça apprend aussi à connaître son corps par rapport à celui des autres. On est maintenant sept filles, ce qui nous permet d’avoir une vue plus représentative des diverses morphologies qu’ont nos clientes. Quand je dessine, je pense à tous ces différents types de corps.

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Parlons de ton rapport au corps justement. La fille d’O a un compte Instagram sur lequel on voit des photos de vous et de clientes posant avec les pièces de la marque. Comment as-tu transmis ce rapport décomplexé au corps à tes clientes ?
Mon père est pompier et ma mère est infirmière. Ils ont toujours été en contact avec des corps en « situations de problème » (opérations, accidents…). Ils m’ont donc appris à avoir beaucoup de respect pour le corps et à le garder le plus sain possible. De part cette éducation, la beauté n’est pas pour moi liée à ce que l’on peut ajouter [sur le corps], mais aux éléments comme le sport et l'alimentation. Je n’ai donc jamais eu de problème avec la nudité et les filles avec lesquelles je travaille non plus. On s’est dit qu'il était aussi important pour les femmes de voir autre chose que des corps lisses et retouchés.

Je ne peux m’imaginer ne pas être féministe. Cela me paraitrait illogique [en tant que femme]. 

Quand on lit ta réflexion sur la lingerie (qu’une lingerie sexy n’a pas à être inconfortable, que la lingerie ne devrait pas être catalogué sexy ou sporty, etc.) on constate la cohérence de ton travail et on comprend que tu es féministe… Même si ce n’est dit nulle part explicitement.
Je ne peux m’imaginer ne pas être féministe. Cela me paraitrait illogique [en tant que femme]. Cela me semble être une qualité de base à avoir pour avancer dans la vie.

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Tu as commencé une collection homme, n’est-ce pas ?
Oui, pour Anne DEMEULEMEESTER (styliste belge minimaliste de renommée internationale faisant partie de ce qu’on appelle les « Six d'Anvers » qui désigne six élèves de l'Académie royale des beaux-arts d'Anvers issus de la même promotion au début des années 1980, NDLR), on a commencé avec une collection de sous-vêtements hommes et maintenant une pour la femme. On a dû inventer une signature [stylistique] se basant sur l’histoire de cette maison de vingt-cinq ans. On a étudié la qualité des matières, les coupes et comment les combiner avec les vêtements. J’ai travaillé avec du coton Sea island – qui est le coton le plus dingue au monde! Il est fait à la Barbade où le climat est tel que la fibre du coton y pousse d’une manière unique ; ce qui lui donne des fibres très longues, rend le coton très doux, très résistant, confortable et durable. Et il n’y a pas de pesticide. C’est donc un coton de haute qualité dont la production est très petite. C’est vraiment un produit de luxe, et j’ai eu la chance de pouvoir le travailler pour eux.

 

Tu penses lancer une gamme pour homme pour la fille d’O ?
Oui ! Ça sera une nouvelle histoire, évidement. On verra comment ça se déroulera, mais je dois le faire parce que l’esthétique qu’on développe, la philosophie qu’on travaille est autant pour la femme que pour l’homme et j’aurais l’impression de passer à côté de quelque chose si je ne le faisait pas.

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Si tu pouvais retourner dans le passé et te donner un conseil avant de te lancer dans cette aventure professionnelle, lequel serait-il ?
Ce qui m’a manqué (et qui me manque encore), c’est de ne pas avoir eu de conseil quant aux aspects liés au business. La réalité n’est pas glamour. On passe peu de temps sur le stylisme-même et beaucoup sur le marketing, le positionnement de la marque, le calcul des prix, la production… J’aurais pu être plus efficace si je l’avais su et que je m’étais entouré de quelqu’un qui maitrise tout cela.

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Aurais-tu un coup de cœur artistique dont tu pourrais nous parler ?
J’ai vu une exposition sur  Francesca WOODMAN à Amsterdam. C’était une artiste de vingt-deux ans qui s’est suicidée. Elle a fait une étude photographique de dingue sur son corps. Son travaille me parle beaucoup car il correspond à ce dont je parlais par rapport à la philosophie de la fille d’O et la liberté qu’il faut prendre. Elle, elle l’a prise. Elle a vraiment fait une recherche sur la beauté, sur comment se montrer, comment elle se voyait, comment se positionner. C’est un peu comme l’étude que nous faisons ici nous aussi.

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Qui fait les photographies de vos campagnes ?
Moi. J’ai appris en faisant. C’était une évidence pour moi de prendre en charge la photographie car mon métier est de dessiner et de regarder des corps. Quand tu crées l’image toi-même, tu sais comment la communiquer.

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Interview : Diane LEMBA
Photos :
Gilles BUYCK

 

Retrouvez la lingerie de la Fille d’O sur leur site internet, Facebook, InstagramTwitter ou encore Tumblr.

Cette interview a aussi été publiée dans la rubrique Dis-Moi Quoi créee en collaboration avec Alphabeta Magazine. Retrouvez plus d’entretiens Dis-Moi Quoi ici.