ZOË GRAY

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Zoë GRAY

Curator

 

Derrière chaque exposition il y a un commissaire d’exposition (plus couramment nommé curateur/-trice en référence à son pendant anglo-saxon). Les aspects protéiformes de ce métier sont souvent méconnus. Or, cette fonction demeure centrale dans la diffusion culturelle. Zoë GRAY est l’une des actrices de ce métier de l’ombre. Anciennement commissaire indépendante, elle est maintenant commissaire en chef pour le WIELS - un centre d’art contemporain incontournable de la capitale belge où expositions aux sujets et échelles étonnants se succèdent depuis maintenant plusieurs années.

 
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C’est un métier diversifié qui comprend des aspects logistiques, artistiques et intellectuels, et on ne s’ennuie jamais.

Comment expliquerais-tu ton métier ?
Zoë GRAY : Je suis Senior curator (commissaire en chef, NDLR) au WIELS. J’organise principalement des expositions avec des artistes vivants, mais je fais aussi des livres avec eux et je programme des événements autour de leur exposition. Mon travail ici comprend également les aspects financiers, la communication et la logistique. Nous avons une équipe curatoriale : il y a le directeur artistique qui est Dirk SNAUWAERT (directeur et fondateur du WIELS, NDLR) avec qui je construis la programmation artistique, et on travaille avec deux autres commissaires de l’équipe. Mais, la structure n’est pas très hiérarchisée.

 

Qu’est-ce qui t’as donné envie de faire ce métier ?
J’étais en bachelor de littérature à Cambridge. Lors de mes études, j’ai participé à une exposition collective, et j’ai découvert le métier de curatrice. Je l’ai d’abord fait comme une activité estudiantine, puis je me suis rendu compte que ça m’intéressait beaucoup. C’est un métier diversifié qui comprend des aspects logistiques, artistiques et intellectuels, et on ne s’ennuie jamais. J’ai donc changé d’étude pour faire l’histoire de l’art, et ensuite une maîtrise en curating. J’ai commencé par travaillé en tant qu’indépendante, puis pour plusieurs institutions avant de travailler ici.

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 L’art contemporain. Je pense que ce terme peut faire peur, mais c’est juste l’art d’aujourd’hui. 

Quelles responsabilités cela implique d’être curateur ?
Selon moi, diverses. En effet, me considérant comme un médiateur entre l’artiste et le public, j’ai à ma charge la manière dont est présenté son travail, comment on l’explique et le contextualise. Il y a ensuite, mes devoirs quant aux œuvres à présenter de la meilleure manière qui soit, à assurer et à transporter comme il le faut. Parfois les œuvres n’appartiennent plus à l’artiste et il y a des obligations vis-à-vis du collectionneur ou du musée. Enfin, étant une institution publique (donc financée par l’argent public), nous ne souhaitons pas faire des expositions pour un petit comité. Nous avons donc le devoir d’attirer un public et de lui parler dans une langue qu’il comprenne. 

 

Vulgariser l’art donc.
Pas forcément pour vulgariser l’art, mais dédramatiser un peu ce que l’on pense de l’art contemporain. Je crois que ce terme peut faire peur, mais c’est juste l’art d’aujourd’hui. Les artistes sont comme nous. Ils ont juste une façon originale de regarder notre monde.

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Quel est ton rapport avec les artistes lors de l’organisation des expositions ?
Il n’y a ni règle ni système figé, chaque artiste est différent et le type de projet que l’on est susceptible de leur proposer peut l’être aussi. Généralement, si c’est pour une exposition personnelle, on contacte l’artiste pour l’inviter à nous voir plus d’une année avant. Durant cette rencontre, on lui dit ce que nous pensons que telle ou telle œuvre qui est centrale dans son travail et que nous voudrions présenter. Mais on demande aussi à voir ce sur quoi il travaille. C’est une vraie discussion. 

 

Qui dirige la muséographie ?
Ça dépend de l’expo et ça dépend du travail à exposer. Par exemple, pour un artiste comme Simon DENNY (artiste contemporain néo-zélandais qui avait été exposé au Wiels durant l'été 2016, NDLR), il y a eu un travail d’installation de sculptures qui ont nécessitait certaines conditions. Il était déjà venu au WIELS avant qu’on l’invite mais ne connaissait pas les espaces comme moi. Donc quand il a fait des propositions sur plans, je me suis permise de lui de lui donner mon avis et de lui j’ai proposer un autre aménagement de l’espace pour une autre façon de construire un parcours pour les visiteurs. Il y a d’autres artistes pour lesquels il y a une façon très figée de présenter leur travail. Parfois il y a vraiment une scénographie qui est construite par l’institution, et parfois, on laisse l’espace assez neutre pour permettre de créer une narration, pour expliquer un argument... C’est au cas par cas.

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Il faut faire des projets sans argent, avec beaucoup d’amour et d’enthousiasme qui intriguent, qui mènent à d’autres projets, qui entament une conversation qui pourra mener ailleurs.

Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui se lancerait dans ce métier ?
Il faut de l’amour pour l’art et avoir une réelle autonomie… tout en sachant travailler en équipe. Si on commence en tant qu’indépendant, il faut être très motivé car on mène les projets seul. En tant que commissaire indépendant il faut trouver l’idée, les artistes, les œuvres, l’argent pour rassembler les œuvres ou les produire, le lieu pour les présenter, les gens pour t’aider à faire l’accrochage de l’exposition… Il faut tout imaginer. En parallèle, il faut travailler avec l’artiste et composer avec le lieu. J’ai vraiment alterné entre le travail d’indépendant et le travail en institution, et ça m’a beaucoup aidé.

 

Quelles sont les différences fondamentales entre le fait de travailler comme commissaire indépendant ou pour une institution ?
Quand on travaille dans une institution, on est comme dans une maison : en faisant plusieurs expositions dans le même lieu on peut prendre le temps de mieux comprendre l’architecture, mais aussi de mieux comprendre l’institution, son public et sa façon de travailler. Ça peut être riche comme expérience car on sent qu’on n’est pas dans un seul projet, mais dans une sorte de continuité : tu fais partie de l’institution. C’est aussi moins épuisant parce qu’en tant qu’indépendant pour chaque projet il faut recommencer à zéro. Il y a aussi le fait que lorsque tu fais parti d’une institution, tes choix sont influencés par la réflexion issue du fait que l’exposition doit avoir un sens dans une programmation… et puis on a un salaire [fixe]. (Sourire)

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De plus en plus de gens se disent freelance curator. Mais, comment vit-on de ce métier concrètement ?
C’est très difficile parce que dans les projets indépendants, même si on réussi à trouver de l’argent pour faire l’exposition, il reste difficile de se payer. Personnellement, j’ai toujours essayé de mélanger les projets pour des fondations privées et pour des institutions publiques, parce que les fondations privées ont souvent un peu plus d’argent. Les invitations à être commissaires se sont construites petit à petit : s’il y a eu une exposition, un livre ou un texte qui a été bien reçu ça crée un mini buzz qui fait que quelqu’un se dit que s’il cherche une personne pour travailler sur tel ou tel sujet, il pensera à toi. Mais ça prend du temps. Il faut faire des projets sans argent, avec beaucoup d’amour et d’enthousiasme qui intriguent d’autres personnes, qui mènent à d’autres projets, qui entament une conversation qui pourra mener ailleurs.
Faire un Master en Curating peut être une bonne idée, mais ce n’est pas l’essentiel. Je pense surtout qu’il faut faire des projets et se lancer même si n’y a pas beaucoup de moyens

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As-tu des œuvres d’art chez toi ?
Oui, mais je ne collectionne pas vraiment. D’abord parce que je n’en n’ai pas vraiment le budget. Puis je ne ressens pas la nécessité d’être la propriétaire d’œuvres d’art. Quand je vois une pièce, une pratique qui m’excite, qui m’intrique j’ai vraiment envie de la présenter, de la partager. Je me dis plutôt qu’il faudrait que j’écrive un texte, que je fasse une exposition autour de cette pièce.

 

Tu écris des textes pour les expositions. Comment développe-t-on cette capacité à verbaliser des choses aussi abstraites de l’art ?
C’est important de ne pas trop expliquer, de ne pas trop réduire des choses qui ne sont pas forcément verbales en mots. Si tout est dit dans un texte cela reviendrait presque à dire que l’œuvre n’est pas nécessaire.
J’écris divers textes autour d’une exposition qui auront fonctions différentes. Il y a, au début, l’écriture du projet qui est fait par moi en dialogue avec l’artiste afin de questionner : Qu’est-ce qu’on veut faire ? Pourquoi veut-on faire une exposition ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi ensemble ? Que va-t-on montrer ? Les fondamentaux. Ce texte, est souvent adapté, utilisé pour le dossier de presse, les demandes de financement. Puis, il y a le texte qui fait parti du processus de recherche : le catalogue de l’exposition, par exemple, est écrit souvent quelques mois avant le vernissage. Enfin, il y a toute l’écriture qui se fait, disons deux semaines avant le début de l’exposition pour le guide du visiteur, les bannières murales. Ce texte est vraiment un outil pour élucider le propos de l’artiste sans trop en dire.

 

Pourrais-tu me parler d’un artiste ou d’une dernière exposition coup de cœur ?
Erik VAN LIESHOUT (Zoë a préparé l’exposition « The Show Must Ego On » de cet artiste néerlandais et le livre qui l’accompagnait en automne 2016, NDLR). C’est quelqu’un dont le travail m’a toujours frappé. Il travaille avec plusieurs médias et fait souvent des installations où il crée tout un univers connecté dans lequel il a toujours un rôle très central. L’artiste romantique torturé qu’il présente n’est qu’un aspect du son travail ; ses vidéos et dessins révèlent aussi les failles de notre société, des choses qui ne marchent pas, des non-dits, des questions de racisme, d’immigration, du rôle de l’art dans la société actuelle... Ça pose donc des questions fondamentales mais d’une manière assez chaotique, humoristique. Je le vois comme un satiriste contemporain... Et ça me fait rire.

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Interview : Diane LEMBA
Photos : Maurine TOUSSAINT ©

 

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Cette interview a aussi été publiée dans la rubrique Dis-Moi Quoi créée en collaboration avec Alphabeta Magazine. Retrouvez plus d’entretiens Dis-Moi Quoi ici.