NIYONA

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Niyona

Leather goods

 

Nina BODENHORST et Jonathan WIEME officient dans le secteur de la maroquinerie sous le nom de NIYONA. Ce couple a créé une entreprise mêlant artisanat et design, avec un souci aigu porté sur la créativité.

 
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Soit travailler dans des maisons [de grandes marques] pour y acquérir de l’expérience et ensuite se lancer ; soit se casser 150 fois la gueule et apprendre par soi-même.
— Jonathan
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Présentez-nous Niyona ?
Nina BODENHORST : On a lancé Niyona en 2010 avec l’idée de créer des produits sur mesure. On a plusieurs façons de travailler. On peut créer de A à Z sur base d’un croquis, d’une idée pour arriver à des prototypes et développer de petites séries; ou bien, le client choisit dans parmi produits nos tabliers, boîtes… et on crée alors une petite série avec des adaptations liées à sa marque.

 

Ces spécificités de votre travail n’étaient pas mis en avant à vos débuts.
N : C’est vrai. Faire des sacs sur mesure n’était qu’une idée de base. C’est parce qu’on voulait participer au Showroom [« Les Belges »] à Paris [un stand collectif organisé par Wallonie Bruxelles Design Mode (WBDM) durant les fashion weeks, NDLR] qu’on a crée une collection. Comme on faisait parti de l’édition suivante, on en a réalisé une autre par la suite. C’est parti de là. Mais après, on a fait un business plan basé sur des points de ventes et on s’est rendu compte qu’on n’était pas des vendeurs. On n’avait jamais pris de recul pour se poser les bonnes questions : quel était le temps nécessaire pour faire un sac, quel en est le coût réel et quel positionnement prendre. On s’est mis dans un créneau qui ne nous n’était pas approprié. Ça nous a pris trois ans pour nous rendre compte que notre force était le sur mesure, la consultance et l’artisanat sur de petites ou grandes productions. En ouvrant notre boutique on a compris où on se positionnait avec Niyona, quel était notre clientèle, qu’elles étaient les choses qu’on pouvait faire ou pas, comment communiquer… En plus depuis près de trois ans, Jonathan est là à plein temps ce qui fait qu’il peut générer rapidement des images pour communiquer sur ce qu’on fait pour nos différents clients.
Jonathan WIEME : Aujourd’hui, on arrive à maturité. On avait trop peu d’expérience. Mais, il est vrai qu’il y a deux façons de faire : soit travailler dans des maisons [de grandes marques] pour y acquérir de l’expérience et ensuite se lancer ; soit se casser 150 fois la gueule et apprendre par soi-même. On est dans le deuxième cas. (Rire) Mais c’est beaucoup plus enrichissant.

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Qu’elles sont vos formations ?
N: J’ai étudié le design industriel à La Cambre.
J : Moi, j’ai fait des études d’informatiques, puis un post-graduat en management et économie à la VUB. 

 

D’où est né votre intérêt pour le travail du cuir ?
N : En troisième année, j’ai commencé à suivre en parallèle, des cours de stylisme et de patronage en cours du soir. En cinquième année, j’ai eu envie de faire un stage. En plus de mes cours du soir, je suis rentrée chez Delvaux durant six mois. J’ai ainsi eu une collection à montrer en fin d’étude. J’ai ensuite postulé chez Nathan Baume, à Ypres, où j’ai été engagée en tant que styliste. J’ai demandé d’y suivre des cours du soir de maroquinerie. En sortant de là, j’avais pour bagage : le styliste et la maroquinerie. Puis pendant un an, j’ai travaillé avec un maroquinier à Bruxelles sur ma petite collection. 

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Comment les clients viennent-ils à vous ? Comment naissent vos collaborations ?
J : On a saisi une opportunité de marché : on est soit développeur de produit, soit un atelier sous-traitant. Les gens viennent donc chez nous pour l’image qu’on véhicule. Il n’y a pas vraiment d’atelier de production communiquant de manière aussi transparente sur ses collaborations comme on le fait. D’autre part, on a une taille idéale pour répondre à ce genre de demande. Car il y a soit les artisans limités en ressources qui peuvent développer un produit mais pas assumer une grande production, soit de plus grands ateliers qui peuvent, produire de grandes quantités, mais sont moins créatifs et moins flexibles. On a compris cela dès notre collaboration avec SUPER PIECE OF CHIC. Pour leur projet de sac cornet de frite ils souhaitaient qu’on en développe le prototype et qu’on trouve un atelier pour sa production. Mais, après avoir conçu le prototype, les ateliers de maroquinerie qu’on a approché nous ont tous pris pour des malades car : « Ce n’est pas comme ça qu’on fait un sac. » Du coup, on a fait la production ici. On a compris qu’il y avait un besoin d’artisans créatifs, de personnes qui comprennent comment travailler un peu en-dehors des lignes.
N : Les artisans ont les connaissances, mais on ne leur a jamais demandé d’être designers, d’être créatifs. Et c’est ça la problématique.

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De la création de votre activité à celle de votre propre boutique il y a eu un pas conséquent à franchir. Quelle est l’histoire de son ouverture ?
J : On a eu besoin d’avoir un atelier avec plus d’espace qui nous appartienne. On a trouvé ce lieu qui était un peu trop grand par rapport à nos besoins. On s’est dit qu’on pourrait l’utiliser comme boutique [Initialement nommée « Hello James », du nom de leur fils, NDLR]. On trouvait intéressant d’y proposer d’autres marques que la nôtre. Ça a assez bien fonctionné : les deux premières années on avait atteint le break-even [terme anglo-saxons signifiant seuil de rentabilité. Soit le moment à partir duquel l'activité d'une entreprise devient rentable et donc que les recettes obtenues couvrent l'ensemble de ses frais, NDLR]. On a vu que cela renforçait notre notoriété. Par contre, cela nous « cannibalisait » au niveau des coûts, des investissements et du temps que cela nous prenait. C’était de l’énergie qu’on ne mettait pas dans Niyona. En faisant le bilan de ce qui fonctionnait le mieux, on s’est rendu compte que 90% nous concernait. On a alors décidé de se concentrer uniquement sur nos activités. Depuis, on a eu d’autres types de clients, beaucoup plus de demandes et on fait vraiment ce qu’on voulait faire à la base. L’ambition n’était pas de développer une marque mais une activité.

 

Quelle différence y a-t-il entre développer une marque ou une activité ?
J : Quand tu développes une marque, il y a une identité forte à raconter, une image à avoir, des ventes à générer pour la faire vivre. On travaille alors autour d’un produit. Nous, on travaille plutôt autour d’un service qu’on adapte à l’identité du client. C’est beaucoup plus intéressant, c’est à chaque fois de nouveaux univers. C’est plus riche en termes de créativité. Et en parallèle on continue de développer un peu nos produits.
N : On a compris qu’il fallait continuer à créer des produits et de petites gammes liées à nos prospects pour les inspirer. 

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Nous faisons attention de nous démarquer des autres en essayant de faire mieux techniquement. Les collaborations nous apportent du savoir-faire supplémentaire.
— Jonathan
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Quels sont vos rôles respectifs ?
J : Je m’occupe de l’image, de la communication, de faire en sorte qu’on ait des clients. Nina, elle, s’occupe du design, de la création, du prototypage et de la mise au point des projets. Je l’aide aussi dans la production en travaillant dans l’atelier.

 

Qu’est-ce que ça représente pour vous de travailler ensemble ?
N : C’est difficile. La première année j’ai eu du mal parce que Jonathan étant chef de projet, il me faisant un briefing détailler après les réunions avec les clients. Il me disait quand, quoi et comment faire, alors que je travaillais de manière plus organique. Mais au final, c’est grâce à Jonathan que la communication de Niyona est là, que notre positionnement est bon, que les clients viennent. J’ai plus de liberté quand je travaille pour un client grâce à lui car je n’ai pas à m’occuper de tout ça.
J : C’est difficile car Nina est la branche créative et opérationnelle. Elle a besoin d’être dans un univers calme, propice à la créativité. Quand on gère une société, ce n’est pas possible : Il y a les factures à payer, les lois sociales… Il faut donc la détacher de tous ces poids que je prends sur moi.

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Avez-vous eu besoin de faire appel à des aides financières pour construire Niyona ?
N : Les deux premières collections ont été financées par nous. Des organisations d’aide à l’exportation nous ont donné une bourse pour montrer nos produits à l’étranger.

 

Et pour la boutique ?
J : Pendant sept ans, j’ai travaillé sept jours par semaine dans une agence. C‘est ce qui nous a permis de faire l’achat de la boutique.

 

Vous avez reçu des prix qui récompensent votre savoir-faire. Pourquoi maintenant d’après vous ? L’artisanat redevient-il une valeur ?
J : C’est très récent. Le temps est nécessaire pour maîtriser son métier, il s’apprend sur toute une vie. L’artisanat est tendance depuis un moment et, du coup, des organisations donnent des prix et le gouvernement souhaite qu’il y ait une reconnaissance. Nous faisons attention de se démarquer des autres en essayant de faire mieux techniquement. Les collaborations nous apportent du savoir-faire supplémentaire.
N : … Et nous apporte au niveau du style aussi.

 

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Ce qui est mal, c’est la standardisation et l’industrialisation. A notre échelle, on est écologique et durable. On connait la provenance [de nos cuirs], on connait les éleveurs, on sait comment s’est tanné et que c’est fait à 150 km d’ici.
— Jonathan

Votre équipe a-t-elle dû s’agrandir avec le temps ?

J : Avant que je travaille ici à plein temps, on avait engagé quelqu’un pour nous aider dans la production. Il était d’abord venu en stage et on l’a engagé grâce à une immersion professionnelle. 
N : On a travaillé ainsi pendant deux ans.
J : Moi, je continuais à travailler en agence à ce moment-là. Financer l’opérationnel et un employé c’est compliqué. Aujourd’hui, nous sommes trois employées (nous deux et une troisième personne). A côté de ça, on a des stagiaires. Ça aide, mais on ne peut pas se permettre d’en prendre plus qu’un ou deux car cela demande un suivi. C’est très bien de pouvoir engager quelqu’un car cela permet de produire plus. Le problème c’est que le pas est trop grand entre devenir indépendant et avoir la possibilité d’engager quelqu’un. Pour cela, le chiffre d’affaire devrait presque doubler. Or, il augmente de quelques pourcents d’une année à l’autre, mais jamais du simple au double. Il n’y a pas assez d’aides [financières] pour pouvoir engager sur le long terme quelqu’un. Pourtant je suis persuadé que si demain j’avais trois artisans ou designers : après deux à trois ans, je pourrais les rémunérer moi-même avec les bénéfices qu’ils auraient générés.

 

Vos proposez aussi des workshops. Parlez-nous-en.
N: C’est venu d’un désir de transmettre un savoir.
J : On s’est dit qu’ayant une vision plus contemporaine de cet artisanat et aimant partager, on voulait transmettre aux autres. Il fallait que cela soit complémentaire à notre activité, que ça ait du sens. On souhaiterait utiliser nos workshops pour sensibiliser les gens aux réalités de notre métier et atteindre le public qui serait susceptible de vouloir collaborer [avec nous]. Et puis, c’est un apport financier non négligeable. Aujourd’hui, on fait même de la consultance pour Mode Design Academy  auprès de personnes étudiant les métiers du luxe et qui voudraient démarrer leur activité dans l’accessoire et la maroquinerie.

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Finissons sur une note inspirante : quel créatif vous a récemment enthousiasmé ?
J : Les cuisiniers étoilés. Ils travaillent comme nous : la recherche constante de la perfection. C’est des gens qui combinent savoir-faire et créativité. Ils poussent leur travail et sont très cérébraux car ils veulent constamment aller vers l’excellence. Ils sont aussi obsédés par la matière (la provenance des ingrédients, etc.) que nous. On travaille avec des tanneries locales. On sait d’où proviennent les vaches. Selon le projet, ses caractéristiques et ses spécificités, on développera avec les artisans un cuir à la tannerie; on ne propose rien sur catalogue. Ce qui est mal, c’est la standardisation et l’industrialisation. A notre échelle, on est écologique et durable dans un sens. On connait la provenance [de notre cuir], on connait les éleveurs, on sait comment s’est tanné et que c’est fait à 150 km d’ici.

 

 

Interview : Diane LEMBA
Photos : Maurine TOUSSAINT©

 

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Retrouvez le travail de NIYONA sur leur site internet, leur compte Instagram, Facebook et Twitter.

 

Cette interview a aussi été publiée dans la rubrique Dis-Moi Quoi créée en collaboration avec Alphabeta Magazine. Retrouvez plus d’entretiens Dis-Moi Quoi ici.