MANSOUR BADJOKO

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Mansour BADJOKO

Fashion & cloth designer

 

Ancien étudiant de la section Mode(s) de l’école d’art La Cambre à Bruxelles et de l'Institut Français de la Mode à Paris, Mansour BADJOKO se définit comme un créateur de mode et de vêtement. Anciennement en duo derrière la marque « Control Studio », il lance en 2015 sa première collection sous sa marque éponyme. Celle-ci signe le début d’une nouvelle aventure professionnelle qu’il nous raconte. 

Mode unisexe, conception anglée et responsable, rencontre d’un créatif qui souhaite dépasser les carcans du marché de la mode.

 

Tu vis et travailles à Bruxelles. Pourquoi avoir choisi cette ville et qu’apporte-t-elle à ton travail ? 
Après avoir vécu deux ans et demi à Paris, je me rends compte qu’on a un important confort de vie à Bruxelles. C’est une ville où il y a de la place physiquement et mentalement, et cela me donne l’impression que l’on peut y faire ce que l’on veut. Paris est très bourgeois et très codifié, pour y faire quelque chose il faut passer par telle ou telle personne. À Bruxelles, tu peux décider de monter une structure indépendante et développer ton réseau lentement.

 

Que penses-tu que l’expérience de ton projet en duo t’ait apporté pour ton travail en solo ? 
Ça m’a permis de me rendre compte qu’il fallait que je fasse quelque chose qui me ressemble totalement. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai décidé de n’être vendu que sur Internet : je veux couper tous les intermédiaires et faire des vêtements que je pourrais me payer moi-même. Je souhaiterais même, à terme, faire aussi des collaborations avec certaines boutiques et développer des collections pour celles-ci. Mon core business restera cependant la vente sur Internet.

 

Décider de n’être vendu qu’en ligne est assez marginal pour un jeune créateur, non ? Comptes-tu néanmoins respecter le calendrier de la mode ?
J’ai dans l’idée de créer sans le suivre. Le rythme dans le retail est absurde : au mois de février les collections d’été arrivent en magasin, et au mois d’août celles d’hiver. Je veux être en accord avec les saisons. Si je proposais cela aux magasins ils me riraient au nez. Cela conforte mon choix de vendre via Internet.

Analyser les identités féminines et masculines, les déconstruire et proposer autre chose, sont des réflexions qui m’intéressent.

Tu as aussi décidé que ta marque serait unisexe. Comment et pourquoi en es-tu arrivé à ce concept ?
J’ai simplement écouté mes clientes, en fait. Lors de la première collection de Control Studio, on avait 30% de notre clientèle qui était féminine. Comme mon style les intéressait, plutôt que de les ignorer, j’ai voulu leur proposer une seule et même collection dans laquelle de plus petites tailles leur seraient destinées.

 

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Quelle histoire raconte ta première collection ?
Elle s'inspire de la notion de groupe et de la manière dont une identité de groupe se construit : les codes et les couleurs communes, les signes distinctifs (comme les écharpes évoquant autant les prêtres que les supporters de foot). Je m’interroge aussi sur la façon dont  l'identité individuelle est en tension au sein d'un groupe et de comment elle se négocie. S'ajoute à cela des références au costume masculin, et plus précisément, au costume croisé. J'ai essayé de lui apporter de l'aise, du confort, de le débarrasser de ses codes bourgeois, d'aller à l'essentiel pour qu'il devienne souple et sensuel, qu’il puisse habiller un corps en mouvement. L’idée est aussi de s'approprier l'impression de pouvoir que l'on lui associe et de l'amener vers un autre territoire.

 

Le mode de réflexion créatif est-il différent lorsque l’on se concentre sur une collection masculine ou lorsque celle-ci se veut unisexe ?
Analyser les identités féminines et masculines, les déconstruire et proposer autre chose sont des réflexions qui m’intéressent justement. C’est pour cela que dans cette collection j’ai privilégié comme manière d’attacher des lanières, par exemple. De plus, selon que cela soit du côté gauche ou droit le genre change. Rien qu’une boutonnière est genrée : les garçons ferment de gauche à droite et les filles de droite à la gauche. Ça vient de l’époque où les femmes ne s’habillaient pas seules; la majorité de leurs habilleuses étant droitières, les boutonnières étaient inversées. Je préfère la boutonnière homme car je pense que les filles s’habillent toutes seules aujourd’hui. 

Tout le monde essaye d’habiller un(e) galériste (…). Il y a assez de place pour ça, et je pense qu’on peut défendre autre chose.
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La palette de couleurs de tes collections est assez restreinte. Pourquoi ce minimalisme ?

Cela part de deux raisons. Tout d’abord, mon but est de permettre de se constituer une garde-robe, et pour se faire, j’essaye de créer des pièces qui vont ensemble même si elles ne sont pas de la même saison. C’est pour ça que je me limite à une gamme de bleus, un peu de noir, des verts foncés et du blanc. Ensuite, c’est le résultat d’une nécessité : je ne peux pas acheter seize tissus par collection, par exemple. Donc si j’en ai quatre, je vais faire un maximum avec.

 

Quelle image te fais-tu de la femme et l’homme qui porteront ta marque ?
J’imagine une personne qui essaierait d’influencer le monde en faisant de son mieux pour elle-même et pour aider les autres, quelqu’un qui comprenne son implication dans la société et qui essaierait vraiment d’améliorer les choses. Et ce, que ce soit un médecin, une architecte, une infirmière, une gardienne… Tout le monde essaye un peu d’habiller un(e) galériste et je ne trouve pas que ce soit très intéressant d’habiller le même type de personnes : des personnes blanches, riches et qui font partie d’un certain milieu. J’y vois comme un sous-texte que je trouve un peu répugnant. Il y a déjà assez de place pour ça, et je pense qu’on peut défendre autre chose.

Tu lançais une campagne de crowfunding dans laquelle tu mettais en avant et défendais le travail local. Parle-nous en. 
J’ai pour objectif d’avoir une transparence totale. J’aimerais pouvoir montrer et expliquer les prix qui sont tributaires des coûts du tissu, des boutons, du transport, de ce que je gagne… Mais j’aimerais aussi montrer ce que coûterait mes pièces si j’étais distribué via un intermédiaire. Tout cela, je le communiquerais pour chaque pièce pour ainsi fournir un maximum d’informations au client, pour qu’il choisisse vraiment. Je commence donc avec de petites séries. Il faut pouvoir gérer toutes ces informations pour être juste et précis.

 

Quel pourcentage la somme récoltée comprend-elle dans le financement de ta collection ?
Elle finance la phase de prototypage. C’est donc le tout début de la collection. Pour la production-même, je devrai aller voir un financer, et lui dire : « J’ai autant de commandes, il me faut autant, je vous les rends dans 3 mois et vous allez gagner autant. »

 

Plus concrètement : vis-tu de ton métier et comment fais-tu pour financer tes collections ?
Pour le moment, je suis indépendant complémentaire et je travaille à mi-temps [Mansour travaille Haute École d'art et de design (H.E.A.D) de Genève où il est en charge de l’Atelier pour les 1ère année en Design Mode, NDLR]. Je finance [seul] ma collection.

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Quel conseil te donnerais-tu, au regard de la personne que tu étais et de celle que tu es devenue ?
Prendre le temps. 
Si je pouvais prendre une pause tous les 2 ou 3 mois pour réfléchir à comment avancent la gestion de l’argent, le cash-flow, le projet lui-même… ce serait super. Il y a toujours des problèmes à régler quand tu gères un projet. C’est donc bien de pouvoir avoir un temps de réflexion pour ne pas se tromper. Une erreur ça coûte vite beaucoup d’argent.

 

Dans le réseau de professionnels du monde de la mode que tu côtoies, rencontrez-vous tous les mêmes difficultés ?
C’est totalement inégal car la vie l’est totalement elle aussi. Chacun à ses forces et ses faiblesses, je pense. Mais, il y a de la place pour tout le monde… Il faut juste être malin.

 

Est-ce pareil pour vos confrères de l’autre côté de la frontière linguistique belge ?
On connait beaucoup moins les créateurs flamands, car l’air de rien, la Belgique reste coupée en deux. Mais, j’essaie de me connecter avec des créatifs de la Flandre justement. J’adore leur boulot et je les trouve intéressants. J’aimerais bien rencontrer et inviter Magalie ELALI et Bart KIGGEN de Coffeeklacht, par exemple. Il faut soutenir ces gens et aller à leur rencontre. C’est d’ailleurs l’avantage de la petite taille de la Belgique.

 

Tu as certainement divers de sources d’inspirations en tant que créatif. Quel est l’un des artistes ou l’une des expositions ayant suscité en toi le plus d’émois ? 
Je crois que cela reste d’avoir pu voir en vrai des sculptures de Brancusi lorsque j’avais été  à New York. Il y a un quelque chose de complètement fini et absolument ultime dans sa manière de mettre en forme une recherche que j’ai trouvé émouvant. C’était juste sublime. C’était vraiment un moment suspendu dans le temps : juste toi et un objet. Mais c’est plus qu’un objet : c’est une idée, une réflexion, une recherche.

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Tu reviens souvent au mot « objet ». Est-ce l’essence de ton approche créative : un bel objet fonctionnel ? 
C’est ce qui m’intéresse personnellement, en effet. Ceux qui font la mode sont intéressants jusqu’à un certain point; je suis plutôt inspiré par les architectes. Ils pensent à comment le corps bouge, comment il évolue sur une vie et comment il se comporte. J’essaie de créer un « objet » qui se porte, qui soit confortable et qui tiendra longtemps, et ce, sans jamais oublier qu’un corps sera dedans… et non un espèce de cintre sur talons aiguilles. J’aime faire des vêtements que les gens ont envie d’acheter. Il n’y a rien de plus intéressant que ça : croiser quelqu’un que tu ne connais pas qui porte tes créations. 

 

Bien que tu sois au début de l’histoire de ta marque, as-tu d’autres ambitions créatives ? 
J’aimerais un jour éditer des meubles, des textiles, offrir une marque complète, avoir des bouquins, défendre de vrais coups de cœur, des gens avec lesquels je travaillerais, créer de vraies collaborations… Représenter quelque chose de large sur le long terme.

 

Interview : Diane Lemba
Photos : Maurine Toussaint©

 

Retrouvez le Mansour BADJOKO travail et sa marque sur son site internet. Mais aussi sur ses comptes Instagram, Facebook et Twitter.

Cette interview a aussi été publiée dans la rubrique Dis-Moi Quoi créée en collaboration avec Alphabeta Magazine. Retrouvez plus d’entretiens Dis-Moi Quoi ici.